Une élection sans surprises ?
À quelques mois des élections présidentielles en Bulgarie, prévues à l'automne 2006, les sondages donnent l'actuel président Gueorgui Parvanov largement réélu. Faut-il pour autant en conclure que les jeux sont faits ? Rien n'est moins sûr. En quelques mois, la situation politique intérieure s'est délitée et le préféré des sondages - aujourd'hui - pourrait éventuellement se retrouver, demain, en position de bouc émissaire des frustrations d'une opinion publique désenchantée qui a déjà montré qu'elle était versatile. La chance du président sortant : une droite désunie et décrédibilisée ! sa crainte : l'irruption d'un cavalier blanc capable de faire une bonne campagne populiste !
Dans les semaines qui viennent, plusieurs candidatures - déclarées, attendues ou potentielles - pourraient donc venir bouleverser les pronostics et renouveler les termes de la compétition. De plus, il faut attendre le rapport de l'Union européenne, prévu pour le 16 mai, dans la mesure où celui-ci devrait préconiser, soit l'adhésion pleine et entière du pays au 1er janvier 2007, soit son report au 1er janvier 2008. La teneur de ce rapport - et de ses probables réserves - pourrait avoir une influence directe sur l'orientation de la campagne électorale et le choix définitif des Bulgares.
Le parcours sans faute d'un président populaire
L'actuel président Gueorgui Parvanov peut être satisfait de lui. Si l'on en croit les sondages, depuis son élection à la magistrature suprême en novembre 2001, sa cote de popularité n'a cessé de grimper dans les sondages. Elle n'est jamais descendue en dessous des 60% d'opinion favorable. Elle a parfois même atteint les 70%.
À moins de cinquante ans, et après un premier mandat de cinq ans, le président sortant estime certainement légitime de pouvoir se représenter devant ses concitoyens. Il affiche manifestement un bilan largement positif, non seulement aux yeux de son électorat traditionnel, les socialistes, mais également aux yeux de nombreux électeurs qui ne partagent pas ses convictions politiques. La prestation peut être saluée à sa juste valeur dans la mesure où la tâche n'était pas évidente pour qui connaît les convulsions politiques qui ont secoué les premières années de la transition vers la démocratie de la Bulgarie. Il a manifestement su jouer la carte de l'une de ses fonctions constitutionnelles, « incarner l'unité de la nation », mais il serait tout à fait simpliste de vouloir réduire son action politique à cet affichage symbolique.
G. Parvanov est historien de formation. Sa thèse de doctorat porte sur une figure du socialisme et s'intitule « Dimitar Blagoev et la question nationale bulgare - 1879/1917 » (Dimitar Blagoev, (1856-1924), initiateur du mouvement socialiste bulgare). En 1981, à vingt quatre ans, il adhère au parti communiste et, pendant dix ans, travaille dans une institution réservée à l'élite, l'Institut d'histoire du parti communiste bulgare. Il fait ses premières armes politiques dans un contexte idéologique difficile - la chute des régimes communistes en Europe au début des années 1990 - mais, faisant partie de ce que certains appellent la relève, il grimpe d'autant plus vite les échelons internes du parti, devenu socialiste. Il en devient le Vice président en 1994. Naturellement pourrait-on dire, il est élu député la même année.
Issu du sérail communiste - avoir la possibilité d'accéder aux archives du parti suppose de donner des gages - G. Parvanov est un homme de réseaux. Il a compris que pour soutenir sa légitime ambition politique, il doit tisser sa toile, sans précipitation, mais avec constance et discernement. Politiquement habile, il sait se mettre en avant sans revendiquer immédiatement les postes avancés - donc les plus exposés - car la vieille garde communiste tient encore les rênes et ne veut pas se laisser déposséder trop rapidement de son pouvoir et des quelques privilèges qui lui restent. C'est en 1996 qu'il devient enfin président du Conseil suprême du parti. Il y fera manifestement l'unanimité puisqu'il est réélu à ce poste en 1998, puis en 2000, à une large majorité. Il cumule cette fonction avec celle de président du groupe socialiste à l'Assemblée. Leader du parti, G. Parvanov va avoir l'occasion de manifester ses qualités d'homme d'État au cours de l'un des épisodes les plus dramatiques de la transition bulgare : l'échec du gouvernement socialiste dirigé par le jeune Jan Videnov. En février 1997, en effet, il joue un rôle essentiel pour mettre un terme à la grave crise politique qui secoue le pays et risque de dégénérer. Après quelques manifestations de rue réprimées brutalement et quelques tergiversations politiques internes, le parti socialiste ne revendique plus son droit constitutionnel à former un nouveau gouvernement ce qui permet ainsi de trouver une issue politique à la crise par la convocation d'élection législatives anticipées. G. Parvanov sait qu'elles sont perdues d'avance pour le parti mais il n'a pas voulu se ranger dans le camp de ceux qui proclamaient à l'époque le parti a pris le pouvoir dans le sang, il ne le quittera que dans le sang
. Selon plusieurs bons connaisseurs du parti socialiste bulgare, février 1997 marque une rupture essentielle dans son évolution. Pour eux, elle est largement due à l'action de son président qui saura, ensuite, attendre quelques années encore pour obtenir les dividendes électoraux de son intuition démocratique.
Jusqu'à présent, Gueorgui Parvanov a su faire un usage adroit de sa fonction de président de la République. Ferme dans ses convictions, l'actuel président est, selon de nombreux témoignages, de caractère plutôt réservé. Ses coups politiques, il les prépare, ne les ébruite pas et ne s'en vante pas. Il a su parfaitement s'adapter à la situation politique dont il a hérité lors de son arrivée au pouvoir. À l'époque il est élu, un peu à la surprise générale, contre son prédécesseur de droite, le président P. Stoyanov, pourtant favori des sondages, qui n'avait pas su se positionner politiquement après la défaite de son propre camp aux élections législatives de juin 2001 et la victoire écrasante de l'ancien monarque, Siméon II de Bulgarie, et de son mouvement.
Lors de sa campagne présidentielle de 2001, le candidat Parvanov indiquait qu'il voulait être un président social
. Dans une longue interview diffusée en français, il soulignait également que la Bulgarie a besoin d'un président actif.
Au cours des quatre premières années de son mandat, le gouvernement étant d'orientation libérale, il adopte un positionnement de régulateur que lui autorisent ses pouvoirs constitutionnels. Il utilise son droit de veto législatif à bon escient, saisit à de nombreuses reprises la Cour constitutionnelle pour montrer qu'il est à la fois actif et social, prononce des discours qui mettent souvent ce gouvernement libéral en porte à faux. Qu'importe que la majorité parlementaire ou la Cour puisse lui donner tort, ses interventions calibrées peaufinent son image dans l'opinion en général et surtout vis-à-vis de son électorat. Il sait également négocier certaines nominations importantes pour ses amis, à des postes d'ambassadeurs par exemple, ou même aux plus hautes fonctions de l'État, comme ce fut le cas récemment pour son conseiller juridique, Boris Veltchev, qu'il a nommé au poste très important de Procureur général de Bulgarie sur la proposition quasi-unanime du Conseil judiciaire supérieur. Dans les mois qui viennent, son positionnement politique par rapport au nouveau gouvernement de centre gauche, dirigé par le parti socialiste, sera déterminant pour sa réélection. D'une manière ou d'une autre, il va certainement devoir prendre un peu de champ pour ne pas subir d'éventuels contrecoups liés à baisse de popularité du gouvernement qui s'amorce d'ores et déjà dans les sondages.
Depuis son entrée en politique, le président G. Parvanov a un objectif politique : faire évoluer et faire gagner le parti socialiste. Il a entamé cette stratégie quand il était le président du parti. Elle a manifestement réussi puisqu'il est devenu président de la République. À peine élu, il a immédiatement placé à la tête du parti un historien comme lui, Sergueï Stanichev, à qui il avait fait grimper rapidement les échelons internes du parti. Sur le plan extérieur, le parti socialiste bulgare a remporté une première grande victoire dans la mesure où, il y a plusieurs années maintenant, il s'est fait reconnaître par l'Internationale socialiste. L'image du parti socialiste s'est améliorée en Europe d'autant plus sûrement que le président Parvanov a su également imposer le rajeunissement de sa direction.
L'arrivée au pouvoir en 2005 du jeune Premier ministre Sergei Stanishev est une indication intéressante de l'implication - préparée et prévisible - du président G. Parvanov dans la vie interne du parti et dans le jeu politique du pays. Même si la constitution l'empêche d'être membre de la direction d'un parti politique (article 95, alinéa 2, de la constitution), de nombreux observateurs ont pu noter le rôle essentiel - quoi que discret - qu'il a joué dans la formation de l'actuelle coalition tripartite et surtout la place qu'il a fait accorder au DPS, le mouvement qui représente la minorité turque de Bulgarie, allié indispensable dans sa stratégie de réélection à l'automne prochain. Ce souci présidentiel de vouloir garder une certaine maîtrise sur l'action du gouvernement s'est notamment matérialisé par la nomination comme directeur de cabinet du Premier ministre ou comme Vice Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de deux de ses principaux conseillers, Filip Bokov et Yvaïlo Kalfin.
Si chacun s'accorde à penser que l'actuel président de la République a fait jusqu'à présent un parcours sans faute, il le doit à toute l'habileté politique qu'il a déployée. Pourtant, les mois qui le séparent de l'échéance présidentielle vont être certainement éprouvants car plusieurs signes indiquent que quelques grains de réélection annoncée.